top of page

L’amie américaine, Serge Toubiana



Serge Toubiana, qui a dirigé les « Cahiers du Cinéma », rend hommage à Helen Scott qui a contribué à promouvoir les films de la « Nouvelle Vague » aux Etats-Unis et qui, surtout, a entretenu une exceptionnelle histoire d’amitié avec François Truffaut.


Nous sommes le 20 janvier 1960. Helen Scott, qui travaille comme attachée de presse au French Film Office à New York, va accueillir à l’aéroport François Truffaut, la figure de proue de la « Nouvelle Vague » française. Il est convié par le Cercle de la Critique New-yorkaise pour recevoir le Prix du meilleur film étranger attribué aux « Quatre Cents Coups », qui a obtenu le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Il ne parle pas un mot d’anglais (et ne le parlera jamais, malgré ses efforts) et Helen Scott, parfaitement francophone, lui sert d’interprète au cours de ses interviews. Elle tombe aussitôt sous le charme du cinéaste.


Il a 28 ans, elle en a 45 et c’est le début d’une amitié tourmentée qui va durer vingt-cinq ans.


Mais qui est Helen Scott ?


Ses parents sont juifs. Né en Ukraine, son père William Reswick, s’installe à New York en 1904 où il fonde une famille. Lorsque le groupe de presse Hearst l’envoie comme correspondant de presse à Moscou, en 1923, il installe sa femme et ses trois enfants à Nice puis à Paris. Trop rebelle pour accepter la discipline scolaire, Helen, en conflit avec sa mère, interrompt ses études à 14 ans.


Lorsque la famille Reswick rentre à New York, la jeune fille, âgée de 17 ans, se rapproche des mouvances communistes avant de travailler pour la célèbre journaliste Geneviève Tabouis.


En 1941, elle épouse un certain Franck Scott, un camarade communiste, mais son mariage est de courte durée même si elle continue à porter le nom de son mari. Puis, répondant à l’appel de De Gaulle, elle se rend à Brazzaville pour travailler à la radio de la France Libre. Deux ans plus tard, elle est attachée de presse au procès de Nuremberg avant d’être engagée à l’ONU, d’où elle est virée à cause de ses activités communistes.


A-t-elle été au service des Soviétiques sous le nom de code EL, comme l’affirme le FBI ? Nul ne le sait, mais placée sur liste noire, elle se voit retirer son passeport.


Après ces années mouvementées, Helen Scott est engagée par le French Film Office.


Elle ne connait pas grand-chose au cinéma mais sa rencontre avec Truffaut va bouleverser sa vie. Le cinéaste a besoin d’elle et elle l’aime éperdument comme le prouve leur abondante correspondance. Elle commence ses lettres par « Mon petit Truffe », « Truffaut chéri » ou « Truffe de mon cœur », alors que lui se contente d’un « Chère Helen ». Elle lui reproche ses lettres trop impersonnelles alors qu’elle se considère comme son épouse virtuelle. Elle veut plus d’amour, de considération.


Néanmoins, elle se démène pour contribuer à la reconnaissance de l’artiste auprès du public américain, ainsi que celle de Godard, Resnais, Rivette ou Becker. Et elle joue pleinement son rôle de « go-between » entre les intellectuels et artistes américains dignes d’être mis en relation avec Truffaut. Et c’est encore elle qui pilote son livre d’entretiens avec Hitchcock.


Mais Helen Scott, une femme forte, cultivée et qui rit beaucoup, n’est pas heureuse. Elle abuse des amphétamines dans le but de maigrir et ses aventures amoureuses, avec des hommes bien plus jeunes qu’elle, sont un fiasco. Cette solitude, ces moments de dépression, elle les évoque dans ses lettres à Truffaut.


Elle s’installe à Paris en 1965 où elle devient la correspondante newyorkaise de nombreux cinéastes américains installés en France.


La disparition de François Truffaut en octobre 1984 la laisse désemparée.


Trois ans plus tard, elle meurt dans son sommeil.

Sa tombe se trouve à quelques mètres de celle de son « Petit Truffe » au cimetière Montmartre.


La vie d’Helen Scott est un roman qu’elle aurait pu écrire. Serge Toubiana nous fait découvrir ce personnage pittoresque et très attachant qui a tant œuvré pour faire connaître le cinéma français aux Etats-Unis.


Editions Stock, 2020


A propos de l’auteur


Critique de cinéma, Serge Toubiana a dirigé les « Cahiers du Cinéma », avant de devenir le directeur de la Cinémathèque française. Il est président d’Unifrance (chargé de la promotion et de l’exportation du cinéma français dans le monde) depuis 2017. Il est également l’auteur de l’ouvrage collectif « François Truffaut », aux éditions Flammarion.

Comments


bottom of page