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La nuit, j’écrirai des soleils, Boris Cyrulnik

Peut-on dépasser ses traumatismes par la création littéraire ?


Pour répondre à cette question, Boris Cyrulnik décrypte le parcours de certains écrivains qui, durant leur enfance, ont été maltraités ou confrontés à la mort de leurs parents, et qui sont parvenus à combler leur carence affective par l’écriture.



« Le manque invite à la créativité, la perte invite à l’art, l’orphelinage invite au roman », écrit l’auteur. Ainsi, beaucoup de traumatisés, incapables de parler de leurs souffrances, les expriment dans des romans, des chansons ou des poèmes. Car un mot écrit modifie l’imaginaire et permet de donner un sens à ses blessures.


Abandonné par sa mère, Jean Genet a grandi dans une famille d’accueil chaleureuse mais la trace du vide initial ne s’est jamais effacée. Bon élève mais solitaire, il se réfugie dans les livres, dans la rêverie pour fuir le réel. Il se prive volontairement de l’amour de ses nouveaux parents pour stimuler sa créativité. Il commet même quelques larcins pour être emprisonné car c’est dans sa cellule qu’il éprouve le désir de s’évader grâce au bonheur des mots.


Enfant, Georges Perec a perdu toute sa famille. Lorsqu’il comprend, à l’âge de huit ans, que cette disparition est définitive, il décide de devenir écrivain pour offrir une sépulture à ses parents, pour leur rendre leur dignité. L’écriture lui a permis de ne pas totalement laisser mourir ceux qu’il aime.


Romain Gary, lui aussi, s’est servi des mots pour échapper au réel insupportable de l’antisémitisme.


Sur trente-sept écrivains des plus célèbres du XIXe siècle, dix-sept ont subi la perte, la mort ou la séparation des deux parents (notamment Balzac, Rimbaud ou Victor Hugo), auxquels s’ajoutent les orphelins comme Baudelaire ou Voltaire et tous ceux qui ont été négligés ou rejetés, et qui ont surmonté leur détresse par l’écriture.


« Sans souffrance, nous n’aurions besoin de personne. Sans manque, nous n’aurions rien à créer. Sans rêves nous serions inertes. Notre existence ne serait qu’un vide, un non-sens pire que la douleur », ajoute le neuropsychiatre. Parce que pour espérer il faut être en manque. Et l’écriture comble le gouffre de la perte.


Mais, précise l’auteur, cela ne signifie pas qu’il suffit d’écrire pour ne plus être malheureux. Primo Levi tout comme Bruno Bettelheim se sont suicidés : si l’écriture leur a permis de survivre, ils n’ont jamais cessé d’être torturés par le désir de mort.


Comme dans ses précédents ouvrages, Boris Cyrulnik explore le concept de résilience, cette faculté de surmonter de graves blessures psychiques. Par le rêve, par l’imaginaire et par les mots. Selon l’auteur qui, pour étayer ses thèses, fait référence à sa propre histoire, à son propre parcours, l’écriture aurait des pouvoirs de guérison et serait l’alliée de la résilience.


L'écriture-thérapie n'est certes pas un concept nouveau - elle a d'ailleurs été scientifiquement prouvée, notamment par James W. Pennebaker, chercheur en psychologie sociale à l'université du Texas - mais cet ouvrage a le mérite d'être accessible à tous et aborde le sujet sous un angle original.


Georges Perec aurait-il écrit "La Disparition" s'il n'avait pas perdu ses parents pendant la guerre ? Jean Genet serait-il devenu écrivain s'il n'avait pas été abandonné par sa mère à sept mois ?


Editions Odile Jacob, 2019


A propos de l’auteur


Neuropsychiatre, Boris Cyrulnik est connu pour avoir vulgarisé le concept de « résilience » (renaître de sa souffrance). Dans ses nombreux ouvrages, il s’appuie sur sa propre tragédie – enfant juif qui a connu le pire – pour explorer ce mystère psychologique qui lui a permis de remonter à la vie. Parmi ses livres, dont certains sont autobiographiques, figurent notamment « Sauve-toi, la vie t’appelle », « Je me souviens », « Psychanalyse et résilience » ou « Le murmure des fantômes ».

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