La Souciance, Eric-Louis Henri
- Genovefa
- 2 nov. 2020
- 8 min de lecture

L’histoire se déroule quelque part dans le sud méditerranéen.
Lors d’un périple estival, un couple de voyageurs, en quête de découvertes et d’aventure mais sans but précis, fait halte dans un petit village suspendu entre montagnes et océans.
Dès leur arrivée, ils ont la conviction d’être arrivés là où ils doivent être.
« C’est ici et pas ailleurs », « c’est ici et maintenant ».
Comme une évidence, comme si rien ne les attendait ailleurs.
Car dans ce village, coupé du monde et déserté par les jeunes, la vérité est une évidence, elle est infinie et elle est le commencement d’un futur inattendu. Et comme une évidence, les voyageurs de passage sont adoptés par les habitants, et ils trouvent leur nid dans ce havre de paix qu’ils décident de faire revivre.
Un lieu propice à l’introspection, à la « souciance ». Un terme issu de la phénoménologie que la critique littéraire équatorienne Sofia Cardoen décrit comme « ce temps qu’on devrait accorder à soi-même et qu’on passe toute une vie à remettre pour plus tard ».
Dans un style poétique, l’auteur nous invite à partager une réflexion profonde sur le sens de la vie, sur ces rencontres qui nous enrichissent et nous aident à devenir ce que nous sommes vraiment.
Il nous démontre également qu’il existe un « ici et pas ailleurs » pour chacun et qu’il faut parfois lâcher prise, « se laisser tomber là, comme une pomme se détache de sa branche et atterrit au pied de l’arbre, roule un peu plus loin et s’arrête finalement à l’endroit qui est le sien ».
Un roman magnifiquement écrit et bien construit.
Les Editions du Panthéon, 2019
A propos de l’auteur
Philosophe de formation, initié à l’école du post-modernisme et du management participatif, Eric-Louis Henri est l’auteur d’une méthodologie de Stratégie et Communication Corporate et accompagne désormais des projets de développement d’entreprises start-ups et PME dans le monde. « La Souciance » est son premier roman.
Rencontre avec l’auteur
Le titre de votre livre interpelle. Qu’est-ce que « la souciance » ?
La « Souciance » est fille de silence dans le monde bruissant qu’est le nôtre. Alors, pour l’expliquer simplement, la « Souciance », c’est cette aptitude à être à l’écoute de ce qui intimement fait sens en nous. Une « intuition distraite », je dirais. Être spontanément attentif à cette part intime de soi qui ne se dit pas mais donne sens à ce que nous vivons, à l’existence. Au-delà de nos préoccupations et occupations quotidiennes.
Nous avons tous, en réalité, une question qui couve en secret, tapie dans l’ombre de ce que nous sommes, de qui nous sommes ; qui, depuis notre naissance, couvre, je dirais, notre « angoisse » latente d’être né. Personne ne choisit de naître un jour. Naître a été -et sera toujours- un événement attendu par d’autres, nos parents en premier. Nullement par nous. La naissance est le berceau de la vie ; pas de notre existence. Naître à soi est une secrète revanche sur la vie, la seule qui vaille, une quête feutrée, indéfinie, indistincte, que nous expérimentons tout au long de notre existence.
La « Souciance » est, en vrai, cette quête de l’inattendu de ce que nous sommes, de qui nous sommes. Elle « nous » invite à découvrir, à accueillir cette évidence-là.
Ensuite, j’ai presqu’envie d’ajouter, par dérision : « Et tout le reste n’est que littérature… »
Vous écrivez : « Je n’apprécie pas que le passé gouverne le présent, qu’il dirige le futur ». En même temps, vous évoquez vos rencontres avec des personnes d’une grande humanité qui vous ont aidé dans votre quête personnelle (c’est le cas notamment de Madame Jeanne, l’immigrée polonaise, qui fut une mère de substitution). N’est-ce pas contradictoire ?
Contradictoire n’est pas le mot. Mais c’est le paradoxe de notre existence, oui. Car l’existence est un paradoxe en soi.
Dans le livre, j’évoque aussi la possibilité de personnes qui ne représentent plus rien. Non parce qu’elles ne valent rien. Mais elles ne font simplement plus sens pour nous. Elles sont devenues une abstraction nostalgique. Tout le monde a vécu cela. Le vit encore. Le vivra toujours. A quoi sert de s’encombrer de valises abstraites ?
Quand on vit au passé, on ne voit pas le monde, on ne vit pas. On se contente de ressasser ce qui a été. Les dictatures jouent et vivent de cette contradiction symbolique-là. Les rationalistes, dans une moindre mesure, également.
Si Madame Jeanne (qui n’est plus ; qui, pour reprendre le sens de votre exemple, est du passé), si Madame Jeanne, donc, nourrit toujours le présent, ce qui vit en moi, ce n’est pas elle à proprement parler ; c’est son regard, c’est la sagesse de son questionnement, l’évidence qu’elle m’a amenée à découvrir. Celle d’avoir ma vie ailleurs.
Le paradoxe est là. L’important est toujours ce que chacun construit d’autre à partir du passé. Car le présent n’est pas un copié-collé du passé. Il est peut-être rassurant de le penser. Mais tôt ou tard, la désillusion marquera de son sceau l’illusion d’avoir vécu.
Être et avoir été ne se conjuguent pas ; sauf au cimetière peut-être. « Être-et-avoir été » constituent le parfait exemple existentiel d’une contradiction, d’une contradiction exercée, comme on dit en philosophie. Le terme de notre existence est même, en soi, une contradiction en acte. Nullement l’existence qui reste au présent.
Le présent est un regard, un tremblement et une tension entre un ici et un là. C’est le temps vécu qui s’amuse sans cesse à jouer à cache-cache avec son lieu d’être… (Hou Hou, où es-tu ? Je suis là ! T’en es sûr ? Cherche encore…). Le présent est le regard du temps pour nous et le berceau de notre existence. On est ici mais c’est là qu’on regarde et se projette en même temps. Dans le regard se conjugue toute la force qui nous pousse à naître à nous-même, à être ici et là, à devenir acteur de notre propre histoire. C’est ce regard de Madame Jeanne à mon égard qui persiste. Voilà pourquoi il arrive que la voix ou la pensée de certaines personnes, comme celles de Madame Jeanne, continuent à muser en nous, à nous accompagner, à nous inspirer. C’est le paradoxe de l’existence mais non sa contradiction.
Quelques semaines avant votre périple dans ce village, vous prenez conscience que votre vie (pourtant bien remplie) est d’un ennui mortel et, dans un moment de clairvoyance, vous démissionnez de votre entreprise. Si cette rupture n’avait pas eu lieu, auriez-vous eu la même réaction en arrivant dans ce village perdu, la conviction d’être là où vous deviez être ?
Je n’y serais tout simplement pas arrivé tout court !
Une « crise de sens », comme on dit, ne fait pas un voyage. Une césure est toujours nécessaire. Pour se mettre en marche, en quête. Une crise de sens vous indique seulement que vous n’êtes pas (ou plus) dans votre lieu d’être. Elle ne précise pas : « Va dans tel endroit ». Elle vous susurre seulement au creux de l’oreille de ne plus jouer à cache-cache avec vous-même. Et vous invite à rester ouvert à l’inattendu, à l’infini de ce qui peut advenir, où une place, « un lieu d’être », sera la vôtre. Mais cela ne signifie pas pour autant que tout est joué, que « ça y est, je suis libéré, j’y suis, je sais ce que je veux, … ».
Avant ce village, il y a eu d’autres villages, d’autres lieux visités… Et pourtant, c’est celui-là qui interpelle. Pourquoi ? Je n’ai pas de réponse à cela. Mais ce fut une évidence pour moi.
« Le modernisme éloigne », écrivez-vous. Pourtant c’est grâce à Internet et le blog que vous créez que vous faites revivre le village. N’est-ce pas à nouveau une contradiction?
C’est une longue discussion que celle-là. Je pense sincèrement que chaque époque qui jette les bases du plus grand espoir creuse aussi le lit de déceptions durables.
Il en est ainsi de l’ère digitale. L’arrivée de l’Internet, du numérique, dans nos vies, souvenez-vous en, nous promettait une ère nouvelle, des lendemains émancipés, de nouvelles perspectives d’humanité retrouvées, de nouvelles représentativités aussi.
Mais cela à peine énoncé, d’autres discours, d’autres dynamiques en ont dévoyé la démarche et confisqué le projet sous prétexte d’utilité, d’efficacité et de rentabilité. La pandémie que nous traversons nous le révèle encore.
Il y a un réel malentendu numérique aujourd’hui.
De ce qui pouvait universellement initier et féconder la différence et l’altérité, la réalité socio-économique souveraine en a gommé la force d’émancipation et la réalité au profit d’une homogénéité fluide factice.
Vous posez en fait toute la question de la légitimité de ladite « Société de l’Information » dont on nous sert la pertinence à longueur de discours comme si de l’énoncer autorisait toutes les forclusions.
Tout l’enjeu justement est de maintenir ouvert les espaces de différence, de rencontre, de confiance (le mot est lâché) entre les êtres. Le modernisme dans sa version numérique contemporaine en a fortement réduit l’existence au tout mesurable et quantifiable, jusqu’à sacrifier ce qui l’a vu naître, ces espaces-là justement. Comment veut-on après que cela ne lui revienne pas de plein fouet au visage ? La réalité aujourd’hui a dépassé la fiction.
A l’information, moi je préfère la communication qui est d’une toute autre dimension, le contraire d’une homogénéisation de la vie sociale que d’aucuns appellent à grands cris. Pénétrer au cœur du lien social comme sa raison d’être, poser la question du lien social, c’est cela la communication. Bâtir des lieux d’être, d’existence partagée.
Au village, peu importe qui vous êtes : notaire, banquière, maire, couturier ou cultivatrice, à la maison ou au champ, ancien ou jeune : l’important est le voisinage, être voisin, s’ancrer dans le présent du village. Le blog visait cela : au-delà de son efficacité numérique, recréer les conditions d’une réhabilitation d’un lieu d’existence…
Je disais plus haut que chaque époque qui jette les bases du plus grand espoir creuse aussi le lit de déceptions durables. Mais l’inverse, aussi ; si on le veut ! C’est paradoxal mais pas contradictoire.
Philosophe de formation et mathématicien, vous êtes également un spécialiste de la communication. Qu’est-ce que vous souhaitez transmettre, partager avec vos lecteurs?
Que la moindre agora vaut mieux qu’une belle théorie et qu’un beau discours. Que communiquer n’est pas transmettre simplement une information mais créer fondamentalement des espaces de confiance qui lui donnent sens. A commencer par le sien propre, celui qui nous fait dialoguer avec nous-même.
Que l’information, seule, est un rendez-vous manqué !
Que dans les faits, la communication est au temps ce que l’information n’est qu’à elle-même : une constante remise en question car la première s’érige là où réside notre manière d’être au monde tandis que la seconde ne ponctue que l’espace d’une phrase qui se dissout dans le reflet qu’elle a choisi pour visage. Les élections américaines en sont le parfait exemple.
L’épidémie du Covid a profondément bouleversé les habitudes des gens mais aussi leur manière d’appréhender la vie et l’avenir. Pensez-vous que ce livre (écrit avant la pandémie) peut les aider à trouver un sens à leur existence ?
Je ne peux répondre à leur place. La « Souciance » est un parcours qui n’a rien d’initiatique mais demande seulement de rester ouvert à l’inattendu.
Ecrire « La Souciance » m’a aidé à me mettre en intelligence avec le monde, le mien forcément.
La pandémie et le confinement nous ont confrontés -et nous confrontent à nouveau- à une crise de sens sociale et, à regret pour certains, à nos certitudes.
Qu’est-ce qui rend la vie humaine possible aujourd’hui ? Nous rentrons pour la deuxième fois dans une période de confinement et celle-ci risque d’être en outre celle du désenchantement si nous ne refaisons pas l’effort d’un questionnement.
Car, je l’ai écrit en mai dernier, être confiné, c’est, a contrario, faire l’expérience de la fuite de soi et, entre ses quatre murs, se confronter à sa vérité. A celle des autres. A l’oubli de soi.
Car le confinement n’est pas une pause entre un début et une fin. Ni même l’inverse, finalement.
Car le confinement est un marais existentiel à peine asséché, touffu, embroussaillé. C’est un déni qui nous met à l’épreuve de nous-mêmes et de notre humanité.
Alors, si mon livre peut offrir un instant de clairvoyance dans ce marais, j’en serais plus qu’honoré … et simplement heureux. J’espère que ce que j’y ai découvert en l’écrivant apportera un moment de sérénité dans le cheminement du lecteur.
Comments