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La veuve Basquiat, Jennifer Clement

Elle fut sa muse, son amante, son amie. Son grand amour.



Fille de réfugiés palestiniens, Suzanne Mallouk sait depuis l’âge de six ans qu’elle quittera le Canada. Son père qui possède une entreprise de peinture est violent. « Ne t’en fais pas, un jour tu mettras le feu au monde », lui dit sa mère, qui prétend être une sorcière.


En 1980, âgée de 20 ans, elle débarque à New-York et travaille comme barmaid au « Night Birds », un bar du Lower East Side. Elle lit « La Nausée » de Sartre derrière le comptoir et tous les jours, pendant deux mois, Jean-Michel Basquiat l’observe. Il finit par l’aborder en l’appelant Vénus et s’installe chez elle.

Il peint ou dessine, sniffe de la coke, drague aussi bien des filles que des garçons – la seule chose qui l’attire est l’intelligence. Sur certains de ses tableaux il ajoute la lettre S (pour Suzanne), « parce que tu es mon foyer » lui répète-t-il.


Et puis, il disparaît pendant des jours. Mais elle l’aime parce que tout ce que fait ce Noir américain d’origine afro-portoricaine est une attaque contre le racisme. Elle aussi en a souffert : sa mère la poussait à se faire blanchir la peau pour qu’elle n’ait pas trop « l’air arabe ». « C’est pour ça que je peins », dit-il « pour faire entrer les Noirs au musée ».


Jean-Michel (que Suzanne appelle Jean) vend sa première toile à Debbie Harry, la chanteuse du groupe rock Blondie, pour deux cents dollars qu’il claque avec Suzanne dans un restaurant. « Nous allons être riches, comme je te l’avais dit » lui déclare-t-il.


C’est le commissaire et marchand d’art Diego Cortez qui le rend célèbre en organisant la première exposition collective de Basquiat (intitulée « New-York/New Wave »). Mais sa notoriété ne le rend pas heureux, il déteste les critiques qu’il accueille à poil et refuse de vendre ses toiles aux gens qu’il n‘aime pas.


Basquiat crée beaucoup mais se drogue de plus en plus. Où qu’il soit, aux Etats-Unis ou en Europe, dès son arrivée il sait où en trouver. Cocaïne, héroïne : et Suzanne plonge avec lui. Elle planque la poudre blanche dans sa crêpure laquée à la salive. Jusqu’au jour où elle en a marre, elle veut s’en sortir et claque la porte de leur loft de Crosby Street, où se côtoient tous les artistes de l’underground (Andy Warhol, Madonna, Keith Haring, Ramellzee) puis elle revient. Pour repartir, car de plus en plus paranoïaque, Jean-Michel, devient tyrannique.

Mais chaque fois qu’il frappe à sa porte, elle l’accueille, le nourrit, le lave, le rase. La drogue a fait de lui un fantôme.


La liaison de Basquiat avec Andy Warhol et leur fructueuse collaboration met un terme à leur relation.


Suzanne change son nom en Ruby Desire et devient chanteuse. Elle veut être célèbre par elle-même. Mais après une tournée en Europe, elle se rend compte qu’elle déteste le milieu de la musique.


Elle rend visite à Jean-Michel qui est devenu tellement maigre qu’elle peine à le reconnaître. La mort d’Andy Warhol l’a dévasté. « Il faut que tu décroches Jean », lui dit-elle. Mais il est trop tard. Il a franchi la ligne invisible de l’addiction.

Le 12 août 1988, Jean-Michel est retrouvé mort d’une overdose d’héroïne et de cocaïne. Il avait 27 ans.


Après sa mort, Suzanne a quitté le monde de l’art new-yorkais pour suivre des études de médecine. Elle travaille aujourd’hui à New-York comme psychiatre et psychothérapeute et soigne les artistes souffrant d’addictions.


Régulièrement exposé dans les plus grands musées du monde, Jean-Michel Basquiat est devenu l’un des peintres les plus cotés sur le marché de l’art.


Amie de Suzanne Mallouk, Jennifer Clement s’est inspirée de ses récits pour raconter la relation passionnée et tourmentée de la jeune femme avec Basquiat. Et son influence sur son travail.

Son livre de 200 pages, une succession de courts chapitres sous forme de collages nous jette un éclairage passionnant sur la façon dont l’artiste créait ses peintures et évoque également la maltraitance des Noirs par la police et les ravages de la drogue et du Sida.


Selon « The Times », ce livre « offre plus de clefs de compréhension des œuvres de Basquiat qu’aucun critique d’art ».


Christian Bourgois Editeur, 2016.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Marny


A propos de l’auteure


Ecrivaine américaine vivant au Mexique, Jennifer Clement est notamment l’auteure de « Prières pour celles qui furent volées » (Flammarion, 2014), finaliste du prix Femina 2014 et Grand prix des lycéennes du magazine Elle. Son dernier roman « Balles perdues » [« Gun Love »] a été publié en 2018 aux Editions Flammarion.

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