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« Vous êtes l’amour malheureux du Führer », Jean-Noël Orengo

  • Genovefa
  • 20 janv.
  • 3 min de lecture



Comment Albert Speer a-t-il réussi à sauver sa tête lors du procès de Nuremberg et à devenir une véritable star après la publication de ses Mémoires, « Au cœur du Troisième Reich », alors qu’il n’a cessé de mentir en affirmant n’avoir rien su de la Solution finale ?


Albert Speer est né en 1905 au sein d’une famille de la haute bourgeoisie. Architecte comme son père et son grand-père, il rencontre Hitler en 1933. Il est jeune, grand, svelte, élégant, cultivé, c’est le coup de foudre réciproque et il devient membre du cercle de ses intimes. « J’ai besoin de quelqu’un qui pourra continuer mon œuvre après ma mort. Cet homme-là, ce sera vous », lui déclare le Führer.


Devenu son architecte fétiche, il bâtit, entre autres, la nouvelle chancellerie du Reich et le Zeppelinfeld de Nuremberg où se tiennent les rassemblements du parti nazi, et il planche sur un nouveau Berlin qui doit devenir plus beau que Paris.


 « Quel architecte n’aurait pas envie de ça ? Il construit indépendamment du goût et sans se soucier du budget », écrit l’auteur. Il va même plus loin : il construit des bâtiments en fonction des ruines qu’ils seront plus tard : « La grandeur actuelle de l’Allemagne, c’est dans les ruines futures qu’on la constatera ».


Speer est envouté par le chancelier, par sa capacité à manipuler les foules par sa voix mais la politique ne l’intéresse pas, il ne parle que d’art, d’architecture, d’urbanisme. Contrairement au Führer, les Juifs ne l’obsèdent pas, ils l’indiffèrent totalement, il n’éprouve rien de positif ou négatif envers eux.


La relation ambiguë entre les deux hommes interpelle et suscite des jalousies. « Savez-vous ce que vous êtes Speer ? Vous êtes l’amour malheureux du Führer », aurait prononcé un de ses collaborateurs, insinuant une quelconque inclinaison homosexuelle de Hitler.


Le 6 octobre 1943 à Poznan en Pologne, lors de la réunion annuelle des gauleiters, le Reichsführer SS Himmler prend la parole. Il parle de l’extermination des Juifs et précise qu’il ne faudra jamais en parler. Il explique qu’en plus des hommes, il a choisi de régler la question des femmes et enfants juifs de la même façon pour éviter qu’ils ne se vengent dans l’avenir. Il accuse ceux qui ont voulu sauver de soi-disant « bons » Juifs. Mais, ajoute-t-il, ce reproche ne vaut pas pour Speer, devenu ministre de l’Armement et de la Production de guerre du Reich, avec lequel il va dans les prochaines semaines nettoyer les ghettos.


Ainsi, Himmler ne cite que Speer sur la question de l’élimination physique des Juifs.


Pourtant lors du procès de Nuremberg, Speer a affirmé qu’il ne savait rien de l’extermination des Juifs. Il plaide « non coupable à titre individuel » puisqu’il n’était pas au courant et « coupable à titre collectif » en tant que dignitaire du régime. Et son argumentation a impressionné le jury : reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il échappe à la peine de mort, écopant seulement de vingt ans de prison.


Une fois libéré, il publie ses mémoires et devient la star des médias, retrouvant ainsi une forme de respectabilité, une notoriété et une aisance financière. L’ancien haut dignitaire nazi est devenu « une star de la culpabilité allemande », souligne Jean-Noël Orengo.  


Certes, certains historiens ont démontré que Speer ne pouvait ignorer la Shoah. C’est le cas notamment de l’historien américain d’origine polonaise et survivant des camps Erich Goldhagen, qui a révélé le discours d’Himmler à Poznan, mentionnant Speer et le remerciant. D’autres ont également démontré que Speer savait, a toujours su pour les Juifs et a même contribué à leur extermination comme ministre de l’Armement. Et pourtant, c’est sa version qui s’imposera toujours.


En réécrivant son histoire, l’architecte a rendu la fiction plus séduisante que la réalité. Et beaucoup de ses biographes se sont largement inspirés de ses mémoires voire en calquant leur écriture sur la sienne.


Jean-Noël Orengo retrace l’ascension de l‘ambitieux architecte, de sa rencontre avec Hitler jusqu’à sa mort à Londres en 1981. Mais ce livre n’est pas à proprement parler une biographie. L’auteur analyse le coup de foudre entre les deux hommes avec comme fil conducteur les mensonges de Speer, un homme narcissique, manipulateur, amoral et d’un opportunisme sans limites, qui a réécrit sa vie et imposé sa propre version de la réalité historique.


Ce roman d’un des plus grands mensonges de l’Histoire est passionnant et brillantissime.


Editions Grasset, 2024


A propos de l’auteur


Chroniqueur de films pour le magazine Transfuge, Jean-Noël Orengo est l’auteur de plusieurs romans dont « La Fleur du Capital » (prix de Flore en 2015), « Les Jungles rouges » et « Femmes sur Fond blanc ». Il est également le cofondateur de la plate-forme en ligne D-Fiction, consacrée à la littérature et aux arts visuels.

 

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